Le 16 mai 2011

Environnement et développement équitable

Sacs!

Laure Waridel, sociologue et auteure

Avez-vous remarqué que de plus en plus de gens apportent leurs sacs lorsqu'ils font leurs courses? Je me rappelle qu'il y a quelques années, il me fallait discuter régulièrement avec certains caissiers qui me disaient que je risquais d'être accusée de vol si j'utilisais mes propres sacs! Les temps changent! Mais il y a moyen d'aller encore plus loin.

Bien qu'accepter un petit sac de plastique par ici et un autre par là semble anodin, la multiplication de ce contenant banal cause de véritables problèmes. Environ deux milliards de sacs en plastique sont encore distribués chaque année au Québec. Et que dire de tous ceux qui circulent d'un bout à l'autre de la planète? Ces milliers de milliards de sacs ont un impact sur l'environnement, de leur fabrication à leur «élimination».

Cycle de vie

La majorité des sacs distribués aux comptoirs-caisses sont en plastique. Ils ont donc nécessité l'extraction de ressources non renouvelables, principalement du pétrole ou du gaz naturel. Ces matières premières ont été transformées en usine, ce qui implique — comme pour leur extraction — l'utilisation d'énergie et d'eau. Il faut aussi considérer les impacts environnementaux du transport à chaque étape, de même que l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre générés lors de l'extraction, de la transformation, du transport, et finalement du recyclage ou de «l'élimination» des sacs.

Malgré le développement du recyclage, la majorité des sacs à usage unique terminent leur vie dans les sites d'enfouissement ou, pire, dans la nature. Il faut de 100 à 400 ans pour qu'un sac en plastique conventionnel se dégrade complètement.

Chaque année, des centaines de milliers d'oiseaux, de mammifères marins, de tortues et de poissons meurent parce qu'ils ont ingéré des bouts de sacs ou qu'ils se sont étouffés dedans. Dans les cours d'eau et les mers, tout ce plastique altère la pénétration de la lumière, ce qui nuit au développement des micro-organismes, base des écosystèmes aquatiques. Que dire de la pollution visuelle créée par les sacs à usage unique? On les voit en bordure de route, sur les rivages et même accrochés aux arbres.

Réduire

S'il est vrai que l'empreinte écologique des sacs biodégradables ou compostables est généralement moindre que celle des sacs en plastique conventionnels, rien ne vaut la réduction à la source. Connaissez-vous les 3R-V : réduire, réutiliser, recycler et valoriser?

Si «réduire» est le premier «r», c'est parce qu'il s'agit du geste qui comporte le plus de conséquences pour l'environnement. Ainsi, réduire la quantité de déchets qu'on produit a un impact beaucoup plus important que de recycler ou même d'utiliser ces matières comme source d'énergie.

L’utilisateur-payeur

Vous pensez que les sacs qui vous sont remis à la caisse sont gratuits? Détrompez-vous. Si l’on ne vous les fait pas payer au comptoir, c’est parce que leur coût est intégré au prix de ce que vous venez d’acheter. C’est aussi parce que nous en assumons les frais collectivement, avec nos taxes et nos impôts. Les coûts qui seront engendrés pour «dépolluer» le sol, les lacs, les rivières et la mer méritent aussi d’être considérés lorsque nous qualifions les sacs de «gratuits». De même que l’ensemble des coûts environnementaux générés tout au long du cycle de vie des sacs à usage unique.

Il est grand temps d’internaliser tous ces coûts cachés — y compris environnementaux — en faisant en sorte que les consommateurs en assument l’intégralité. Cela signifie faire payer les sacs en plastique à la caisse, ou mieux encore, les bannir comme le font certains magasins, certaines municipalités et même certains pays comme la Chine et le Bangladesh.

La ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec, Line Beauchamp, dit vouloir éviter les mesures coercitives et privilégier la bonne volonté des citoyens comme celle des entreprises. Les expériences d’autres pays montrent que les mesures volontaires ont un impact négligeable comparativement à l’imposition de lois et d’écotaxes.

S’inspirer de l’Irlande

En 2002, le gouvernement irlandais a imposé une taxe écologique équivalant à 23 cents sur chaque sac à usage unique distribué aux comptoirs-caisses des magasins. Depuis sa mise en place, cette taxe écologique a permis de réduire de plus de 90 % la présence de sacs en plastique dans les sites d’enfouissement. Elle a aussi permis de générer l’équivalent de 127 millions de dollars canadiens en revenu pour l’état (80 millions d’euros). Ainsi, les Irlandais ont fait un gain à la fois écologique et économique. Lors d’un sondage effectué en 2003, 91 % d’entre eux trouvaient que cette taxe était une bonne idée. Pourtant, avant son imposition, 40 % de la population était contre une telle mesure. Un an plus tard, la majorité des personnes avait donc changé d’opinion.

C’est dire qu’au-delà des sondages, les gouvernements doivent avoir l’audace de mettre en place des mesures concrètes qui permettent de faire une vraie différence. Mme Beauchamp, je vous invite à être visionnaire. Les Québécois et les Québécoises ont l’habitude de payer pour les biens qu’ils rapportent des magasins. Il devrait en être de même pour les sacs à usage unique, surtout lorsqu’on considère leur coût environnemental.